Dans cet article, nous parlerons de qui dénonce le harcèlement et pourquoi, ce qui leur arrive par la suite, et comment ils se sentent après coup. Il y a beaucoup de citations directes dans cet article. C’est parce que nous voulions que vous entendiez, dans leurs propres mots, pourquoi ces personnes ont dénoncé le harcèlement et comment elles se sont senties après.
Voici la version courte:
Les dénonciateurs sont des personnes d’une grande moralité qui sont indignées par les mauvais comportements. Lorsqu’elles dénoncent une situation, elles ne reçoivent habituellement aucune récompense pour l’avoir fait; elles sont plutôt punies. Elles finissent généralement par regretter de l’avoir fait parce que le prix à payer s’avère très élevé. Mais elles disent aussi qu’elles le feraient encore parce qu’elles n’arriveraient pas à se regarder dans le miroir sinon.
Allons-y. Commençons par définir la dénonciation.
[La dénonciation] est le signalement, par des employés ou d’anciens employés, du comportement illégal, contraire à l’éthique ou autrement inapproprié d’une personne qui a le pouvoir de prendre des mesures correctives.
Terance D. Miethe, Whistleblowing at Work: Tough Choices in Exposing Fraud, Waste, and Abuse on the Job, Avalon Publishing, 1999.
Pour qu’il s’agisse d’une dénonciation, vous devez sortir de votre propre chaîne de commandement. Si vous en parlez à votre patron ou aux RH, vous ne faites pas une dénonciation; vous ne faites que signaler. Link to regional Reporting to employer guides.
Pour qu’il s’agisse d’une dénonciation, vous devez dénoncer la situation à une personne à l’extérieur de votre organisation. Ça signifie dévoiler votre histoire publiquement en parlant sur les médias sociaux ou avec un journaliste, ou en alertant un organisme chargé de surveiller votre employeur, comme un conseil d’administration, un organisme de réglementation ou une association liée à l’industrie.
Pour qu’il s’agisse d’une dénonciation, les experts affirment que le dénonciateur doit essayer d’empêcher que du tort soit fait à d’autres personnes et pas seulement à lui-même. Souvent, les dénonciations concernent des torts en lien avec l’environnement ou la santé (par exemple, si une entreprise relâche des substances toxiques dans l’eau ou dans l’air), de nature financière (par exemple, si une banque surfacture les services offerts à ses clients) et/ou de nature légale (par exemple, si un gouvernement espionne ses propres citoyens).
Certains experts estiment que le signalement du harcèlement ne compte pas comme une dénonciation parce qu’ils pensent que les gens signalent le harcèlement pour se protéger eux-mêmes et non pour protéger les autres. Nous ne sommes pas d’accord. Presque tous les gens qui signalent un cas de harcèlement sont au moins en partie motivés par la volonté d’empêcher que d’autres personnes soient harcelées. Nous sommes donc d’avis que le signalement d’un incident de harcèlement sexuel devrait compter comme une dénonciation.
Pourquoi les gens dénoncent le harcèlement sexuel
Les dénonciateurs sont habituellement motivés par un mélange d’indignation morale et de désir de protéger les autres. Voici le genre de choses auxquelles les dénonciateurs ont tendance à penser lorsqu’ils dénoncent:
- Quelque chose de mal est en train de se passer.
- Des gens se font blesser.
- Les personnes qui sont censées régler le problème ne respectent pas leurs responsabilités.
- On essaie de cacher ou de dissimuler ce qui se passe.
- Ça dure depuis trop longtemps et il faut que ça arrête.
- Le public mérite de connaître la vérité et il y a des gens qui doivent être tenus responsables.
- Je ne peux pas supporter d’être associé à ça.
- Je ne pourrais pas me regarder dans le miroir si je gardais le silence à ce sujet.
Voici quelques citations de vraies personnes ayant dénoncé le harcèlement sexuel qui expliquent pourquoi elles l’ont fait.
C’est beaucoup trop répandu et j’en ai fucking assez. Ce n’était pas seulement à propos de moi, ça concernait tout le monde dans l’industrie qui devait faire face à ça régulièrement.
En 2017, Brittany Lyne Rudyck, qui était alors barmaid et gestionnaire des médias sociaux pour Needle Vinyl Tavern à Edmonton, a quitté son emploi et publié un billet sur Facebook dans lequel elle s’est plainte que l’un des copropriétaires du bar lui avait fait subir du harcèlement sexuel.
Mon combat ne s’est jamais limité qu’à moi-même. Mon objectif principal était d’apporter des changements positifs au milieu de travail afin d’éviter que ça n’arrive aux autres.
En 2019, l’ancien agent correctionnel T. M. a déposé une plainte à la Commission des droits de la personne du Manitoba, soutenant qu’il avait enduré des années de harcèlement de la part de ses collègues au Centre manitobain de la jeunesse parce qu’il est gai.
Mon intention a toujours été de dénoncer le harcèlement dans le but de me protéger, et pour améliorer le milieu de travail et le rendre plus sécuritaire.
En 2007, l’ancienne pompière Liane Tessier a déposé une plainte à la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse, soutenant qu’elle avait enduré des années de traitement abusif et dénigrant de la part de ses collègues parce qu’elle est une femme.
Je veux m’assurer qu’en me défendant, je défends aussi les personnes gaies ou trans ou lesbiennes ou bisexuelles de notre communauté qui ont l’impression de ne pas avoir de voix ou qui se sentent oppressées ou incapables de parler. Faites entendre votre voix et soyez fiers.
En 2019, Jason McDonald, un cadre de la Légion royale canadienne de New Waterford, en Nouvelle-Écosse, a déposé une plainte auprès de la Légion et de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse, soutenant qu’il était la cible de moqueries et d’injures homophobes parce qu’il est gai.
Qu’est-ce qui arrive aux dénonciateurs?
« S’opposer à l’organisation », a écrit C. Fred Alford dans son livre au sujet des dénonciateurs, « c’est risquer l’annihilation. »
Voici ce qui arrive aux dénonciateurs, selon les experts:
- Ils se font très fréquemment renvoyer.
- Lorsqu’ils ne sont pas renvoyés, ils se font mettre de côté et exclure au travail.
- Leurs collègues se retournent contre eux.
- Leur industrie les met souvent sur une liste noire.
- Leurs causes peuvent traîner pendant des années et leur coûter beaucoup plus de temps et d’argent qu’ils avaient prévu.
- Leurs familles se fâchent contre eux pour avoir fait passer une « cause » avant leur famille, et leurs relations principales —époux, partenaire —ont tendance à se briser.
- Leur santé mentale en souffre, souvent gravement. Beaucoup se retrouvent aux prises avec une dépression ou de l’alcoolisme. Beaucoup pensent au suicide.
- Ils souffrent de problèmes financiers à court terme et à long terme.
- Ils finissent par accepter un emploi qui est de loin pire que celui qu’ils avaient avant.
Voici, dans leurs propres mots, ce que ces gens ont à dire sur ce qui leur est arrivé après avoir dénoncé le harcèlement.
Lorsque vous dénoncez, vous devenez un poison aux yeux de l’entreprise. Votre présence les rend malades.
Dénonciateur anonyme, tel que cité dans Whistleblowers: Broken Lives and Organizational Power par C. Fred Alford.
Depuis que je me suis plainte, les hommes se réunissent et parlent de moi et disent que la “petite bitch” ne sera pas contente tant que quelqu’un n’aura pas été renvoyé.
Billie Jo Barnes, opératrice de machinerie lourde dans un camp de travail accessible par voie aérienne à la mine de Mary River au Nunavut, se plaignant de harcèlement sexuel en 2018.
Je m’attendais à des représailles au sein de l’unité. Je ne m’attendais pas, lorsque le bras exécutif de l’armée, lorsque les hauts responsables sont intervenus, à ce qu’ils ne me soutiennent pas.
Krystina MacLean, ancienne employée civile du ministère de la Défense nationale, qui a déposé un grief pour signaler du harcèlement sexuel et racial avant d’être suspendue et éventuellement renvoyée.
Ça prend des années, et ça prend tout notre argent. J’ai déjà dépensé près de 60 000 $ de ma poche pour un procès au Tribunal des droits de la personne qui n’a même pas encore commencé.
Effy Zarabi-Majd, ancienne agente de police de Toronto, parlant des coûts humains et financiers en lien avec le dépôt d’une plainte contre ses collègues devant le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario.
Si vous faites une dénonciation, vous courrez le risque d’être poursuivi pour diffamation
Si vous parlez en mal d’une personne ou d’une entreprise, vous risquez d’être poursuivi pour diffamation. « Diffamation » est un terme juridique. Il décrit les situations où une personne dit publiquement des choses qui ne sont pas vraies et qui causent du tort à la réputation d’une autre personne ou d’une compagnie. Il peut s’agir d’un message publié, ce que l’on appelle souvent un « libelle », ou de paroles prononcées —dans certaines régions du pays, on appelle ça des « propos diffamatoires ».
Les poursuites pour diffamation sont des plaintes civiles et ne relèvent pas du droit criminel, ce qui signifie qu’elles n’impliquent pas la police.
Consultez la page intitulée Comment décider s’il faut intenter une poursuite (et à quoi vous attendre si vous le faites). N’importe qui peut déposer une plainte pour diffamation. Il n’est pas nécessaire d’avoir un dossier solide; il faut seulement avoir assez d’argent pour se payer un avocat.
Est-ce que les dénonciateurs regrettent d’avoir dénoncé?
Je pense que j’ai été fou de dénoncer. Mais je pense que je n’ai jamais eu le choix. C’était parler ou partir.
Le dénonciateur John Brown, tel que cité dans Whistleblowers: Broken Lives and Organizational Power par C. Fred Alford.
Si un dénonciateur pouvait remonter le temps, sachant exactement comment les choses allaient se passer, est-ce qu’il dénoncerait quand même? Les chercheurs disent que oui. Presque tous les dénonciateurs disent qu’ils dénonceraient encore même s’ils savaient exactement ce qui allait arriver par la suite.
Ça ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de regrets. Beaucoup de dénonciateurs en ont. Les pertes qu’ils ont subies sont importantes.
Alors, pourquoi le feraient-ils encore? Les experts disent que c’est parce que les dénonciateurs sont des personnes profondément idéalistes qui croient fermement en leurs obligations et en leurs responsabilités. Ils n’arriveraient tout simplement pas à se regarder dans le miroir en sachant qu’une injustice cause du tort aux gens et est passée sous silence s’ils n’essayaient pas au moins de faire quelque chose.
C’est en partie la raison pour laquelle la dénonciation est si difficile pour les gens. Parce que les dénonciateurs sont idéalistes, ce qui se produit par la suite leur font perdre confiance en leurs boss, leurs collègues, leurs familles, leurs amis et le système de justice.
Tirée du livre Whistleblowers de C. Fred Alford, voici une liste de choses que, selon Alford, les dénonciateurs croyaient avant de dénoncer et auxquelles ils ont dû renoncer après:
- Qu’on peut se fier à la loi et à la justice.
- Qu’une personne ne sera pas sacrifiée au nom du groupe.
- Que vos amis resteront loyaux même lorsque vos collègues ne le sont pas.
- Que l’organisation n’est pas fondamentalement immorale.
- Qu’il y a quelqu’un, quelque part, en position de pouvoir qui connaît la vérité, qui s’en préoccupe et qui fera la bonne chose.
- Que la vérité est importante et que quelqu’un voudra la connaître.
- Que si quelqu’un a raison et est persistant, les choses finiront par s’arranger pour le mieux.
- Que même si les choses tournent mal, les autres comprendront.
- Que la famille est un havre de paix dans un monde sans cœur, et que votre époux et vos enfants ne vous abandonneront pas.
Comment décider de dénoncer ou non
Nous ne pouvons pas vous dire si la dénonciation est la bonne chose à faire pour vous. C’est une décision très personnelle.
Voici ce que nous pouvons dire.
la dénonciation ne vous permettra probablement pas d’obtenir justice.
Mais pour certaines personnes, la dénonciation est la bonne solution de toute façon.
Si vous êtes le genre de personne qui serait portée à dénoncer, vous le savez probablement déjà. Si vous n’êtes pas sûr, demandez-vous comment ces énoncés vous font sentir:
C’est important de dire la vérité. |
C’est important de respecter ses promesses. |
J’ai un grand sens des responsabilités. |
Le véritable test de caractère consiste à faire la bonne chose même quand c’est difficile. |
Le fait de garder le silence face à une injustice est un acte de lâcheté. |
Je n’arriverais pas à vivre en paix avec moi-même si je ne me comportais pas avec honneur. |
Je ne pourrais pas supporter de m’associer avec des personnes qui ne respectent pas leurs obligations. |
L’intégrité, c’est faire la bonne chose, même si on finit par se faire punir. |
Les privilèges viennent avec des responsabilités, et les responsabilités exigent de rendre des comptes. |
Nous pensons qu’il n’y a pas de « bonne » façon de vous comporter. Il n’y a pas d’option qui vous permettra d’obtenir justice et de protéger les autres tout en garantissant votre bonheur par la suite. Cette option n’existe tout simplement pas.
À notre avis, ça veut dire que vous devriez juste faire ce qui vous semble le mieux pour vous. Ne vous inquiétez pas de plaire aux autres ou d’être à la hauteur des idéaux présentés dans les films hollywoodiens où les personnes qui dénoncent gagnent à la fin. Contentez-vous de faire ce qui vous semble le mieux pour vous.
Si vous êtes le genre de personne qui serait portée à dénoncer, vous le savez probablement déjà. Si ce profil vous correspond, nous espérons que cet article vous aide à comprendre à quoi vous attendre pour que vous puissiez vous protéger autant que possible.
Mais si vous êtes le genre de personne qui choisira de garder le silence, eh bien, nous pensons qu’étant donné les circonstances, c’est une décision tout à fait honorable et raisonnable.
Peu importe votre décision, nous vous souhaitons bonne chance.