J’ai rencontré Rick Chiarelli pour la première fois lorsque j’ai travaillé comme bénévole pour la fête du Nouvel An sans alcool qu’il organisait chaque année. Il demandait à des gens de porter des costumes pour les enfants. J’étais membre d’un groupe caritatif appelé la League of Super Heroes (Ligue des superhéros) qui participait à des événements afin de recueillir des fonds pour l’hôpital pour enfants local. Quand j’ai commencé à travailler pour lui, plus tard, il a décrit le costume que je portais, la partie où on pouvait voir mon ventre, à d’autres employés et partisans. Il faisait des commentaires sur mes abdominaux et m’avait dans son téléphone sous le nom d’Abigail en référence à mes abdos.
Je lui ai dit tout de suite que je ne connaissais rien à la politique. J’avais quitté mon emploi précédent parce que ma santé mentale s’était détériorée après avoir été agressée sexuellement en dehors du travail, alors j’avais vraiment besoin d’un emploi stable. Il disait toujours que c’était un excellent moyen de rentrer à l’hôtel de ville, faisant miroiter la stabilité. Il cherchait délibérément des personnes comme moi qui n’avaient pas d’expérience en politique, qui pouvaient facilement être trompées, et qui avaient vécu des traumatismes par le passé pour qu’elles soient plus vulnérables à sa manipulation. Durant mon entrevue, il m’a dit qu’il avait besoin de connaître mon plus gros secret. Il a dit qu’en période électorale, ses adversaires essayeraient de l’attaquer en fouillant dans la vie de ses assistants, mais qu’il pourrait me protéger. Il m’a clairement fait comprendre que je devais lui dire quelque chose pour qu’il sache qu’il pouvait me faire confiance, alors je lui ai parlé de l’agression sexuelle qui m’avait incitée à quitter mon emploi précédent.
J’ai commencé à travailler avec Chiarelli en tant qu’adjointe législative à temps partiel. Peu après, il a commencé à me former pour prendre la relève de sa cheffe de cabinet, qui partait en congé de maternité. En moins d’un an, j’étais la personne la plus haut placée. C’était un cauchemar. Il a utilisé ma personnalité, ma sexualité, et mon apparence comme une sorte de marchandise au bureau. Il parlait de mon corps aux autres devant moi et quand je n’étais pas là. Il montrait souvent aux gens la photo de moi dans le costume lors de la première fête du Nouvel An. Il l’a même montrée à un autre conseiller sur son téléphone devant moi et a parlé de mes abdominaux comme si je n’étais même pas là.
Il m’appelait tard le soir juste pour parler alors que j’étais avec mes amis, et je devais toujours répondre. Il voulait qu’on flirte avec des jeunes hommes afin de les recruter pour du bénévolat ou pour qu’ils votent pour lui lors des élections. On devait s’habiller d’une certaine façon et il nous complimentait ou nous rabaissait selon le nombre d’hommes que nous pouvions attirer.
Il y a souvent eu des moments où j’étais à bout, où je m’asseyais à mon bureau en faisant de mon mieux pour étouffer mes larmes. Parfois, au lieu de dîner, je me mettais en boule sous mon bureau avec une couverture parce que j’étais trop épuisée et déprimée. Je fais encore des cauchemars dans lesquels je travaille là-bas ou je le rencontre quelque part.
Le seul moment où je me suis sentie mieux durant cette épreuve, c’est quand j’ai pu révéler publiquement cette affaire en novembre 2020, lorsque le rapport du commissaire à l’intégrité a été publié. Dès que j’ai dévoilé ce que j’avais vécu, j’ai finalement eu l’impression de pouvoir respirer un peu. C’était enfin moi qui avais un peu le contrôle et qui racontais aux gens ce qui m’était arrivé, sans cacher mon nom ou mon visage. Certains jours ont quand même été pénibles, comme lorsqu’on m’a accusée d’essayer d’attirer l’attention. Des gens m’attaquaient de tous les côtés. Heureusement, j’ai reçu beaucoup plus de soutien que j’ai pu avoir de reproches de la part de ces horribles personnes. Mais, il y a eu des jours où c’était épuisant. J’ai eu du mal à ressortir avec des gens parce que tout ce qui est lié au flirt, à ma sexualité ou à quelque chose en lien avec ça me met sur mes gardes.
Mais depuis que j’ai tout révélé publiquement, je peux finalement me sortir un peu ça de la tête et le mettre de côté. Je peux dire ce que je pense et arrêter d’obséder à ce sujet, et je ne le regrette pas.